HADJ H'MIDA KADA LA FORCE TRANQUILLE.
Publié le 17 Mai 2013
“ L’inconscient est structuré comme un langage ”
Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'hommes,
Que j'ai honte de nous , débiles que nous sommes!
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez sublimes animaux.
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
--Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur.
Il disait: " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t'appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler."
Alfred de Vigny
Hadj H'MIDA KADA était un homme de très grande culture atypique et brillant, qui s’est mis très jeune à la quête de la pierre philosophale, empruntant stoïquement sans l’aide de personne seul et sans aucun bagage que sa volonté propre, les sentiers escarpés de l’existentialisme et de la phénoménologie, à une époque (le début des années 1940) où Hegel n’était pas encore traduit en français ; parallèlement, il découvrait au fond de lui même les notions de Gnose et de Tradition.
C’est dans ces années là de feux et de sang qu’il donnera à sa vie, une impulsion supplémentaire et empruntera au destin les clés de ce royaume rêvé par tous , si beau et si évanescent , cheminant crescendo au-delà des clivages et des emmurements qui empêchaient les enfants de l’époque de regarder par dessus ces horizons sciemment bouchés à leurs regards.
Très perspicaces, il était toujours en recherche de savoir total et de communion avec l’univers qui l’entourait et c’est dans ce cadre que se forgera son attention extrême à la solidarité et au don de soi, à l’amitié et la connivence entre les homos sapiens de tous bords, c’était autant ce regard philosophique et naturaliste qui formera à jamais les entremêlements tenus du tissu fort de son pedigree.
Auteur de plusieurs ouvrages et autres questions impertinentes sur tout, qui prenaient la forme d’un testament philosophique.
À l’image de son auteur, celle d’un homme dont le regard, sous la neige des sourcils, pétillait d’une certaine espièglerie enfantine.
On ne sentait pas chez lui de différence entre l’instituteur qu’il était au début de son parcours, du maire, du censeur, de l’homme de savoir, du maître de pensée et de l’homme tout court, donnant ainsi l’impression d’avoir enfin atteint son âge respectable - et la sagesse qui l’accompagnait authentiquement sans avoir eu à renoncer à l’enthousiasme de sa jeunesse.
La perte de quelqu’un de cette trempe demeure et demeurera inestimable parce que cet enfant authentique de Laghouat était un personnage illustre qui avait inondé de son savoir immense des générations entières.
Mais, ne dit-on pas qu’un génie ne meurt jamais : il vit à travers chacun de nous et de chaque mot, chaque image, chaque page de son œuvre ; il restera toujours en communion avec ses élèves et les habitants de sa ville transcendant ainsi toutes les générations.
Dialogue dynamique.
Dialogue constructeur.
Dialogue éternel.
C’était un érudit parmi les plus illustres de la ville, qui leurs vies durant ont semé, chacun avec son génie propre et particulier, des graines qui ont bien germé et qui ont fini par nourrir didactiquement des générations en déshérence.
Il était de ses grands bâtisseurs d'empires et de royaumes, aux ambitions démesurées, qui rêvaient de but en blanc à l'unification de l’esprit spécifique Laghouati, homme de très grande sagesse il était grand dans ses desseins et magnanime dans ses gestes, il savait que les jeunes avec qui il avait fait un tout petit bout de chemin à travers les cheminements tortueux de leurs vies scolaires seraient demain si audacieux, si téméraires et si fiers
C’était sous son regard serein et chargé d'éclairs, la puissance du verbe aidant, que les plus humbles avaient eu accès aux civilisations les plus mythiques ?
Et de l'autre côté du miroir qu’en est-il au jour d’aujourd’hui ?
Les vestiges et les ruines d’éminents érudits, peu connus des générations de l’Indépendance, des poètes talentueux en jachère, des intellectuels qui mériteraient d'être mieux connus par leurs pairs ; car pour KADA, cette immense mer du savoir, l'étude attentive des œuvres des autres aura toujours la vertu, de rendre les gens moins arrogants, plus humbles et plus responsables.
Mais trahi dans ses convictions les plus profondes il se sentait très "malade du présent", car pour lui "douter d'aujourd'hui, c'est apprendre à avancer à coups de révoltes».
Il reconnaissait à son corps défendant n’être, comme tous les autres qui l’ont précédé qu'une courte parenthèse dans l'histoire de la ville, que chacun bénéficie, aussi fragile qu'il soit, de quelques circonstances atténuantes, que la culture de Laghouat vaincra toujours et renaîtra, de ses cendres comme le phénix….
Kada appartenait il n’y a pas le moindre doute à la race des seigneurs, lui qui sa vie durant n’a jamais su tricher.
Sa culture et son érudition aussi immenses que le Sahara qui l’a vu naître est comme une mixture précieuse, un breuvage sacré, une ambroisie, toujours aussi éclectique et moderne, dans le sens que Charles Baudelaire donnait du mot de modernité, c'est-à-dire "le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable".
Il me semble encore aujourd’hui être dans l'impossibilité de cerner son immense personnalité parce que fuyante, parce que certes bruyante, mais si opaque.
Une opacité qui jure avec la transparence de son œuvre éternelle.
Au lycée déjà, on le voyait sourire de nos gaucheries comme pour nous dire dans le savoureux accent savamment répété et dans un Français des plus châtié : Hé les potaches Travaillez et prenez donc de la peine.
Oui, ainsi il avait vécu, HADJ H'MIDA KADA ainsi il se serait adressé à nous, si sa voix forte pouvait encore nous parvenir.
Un révolté il était, assurément.
Un révolté contre la bêtise humaine, il avait mille fois raison car, durant l’intermède douloureux de tout un chacun, dans cette vie de chien faite de renoncements téméraires et incompréhensibles, il avait su, par je ne sais par quel art, se taire sur l'essentiel pour laisser parler en filigrane son œuvre immense .
Et cette œuvre grandiose est là, entre nos mains, toujours aussi omniprésente pour des générations, de siècles en siècles:
Même mort, il vivra éternellement dans nos cœurs c’est certain, figurez vous , il est déjà immortel.
C’est ainsi un éternel jeune homme qui nous a quitté, sans bruit, pour l’au-delà de la parole éternelle et du silence.
Amine Lotfi